A en croire Mike Nichols, c'est dans un Jacuzzi de Las Vegas que s'est joué le sort de la planète, ou presque. Après un bref prologue, La Guerre selon Charlie Wilson commence par le spectacle du héros, représentant démocrate du Texas au Congrès des Etats-Unis, pataugeant entre quelques créatures de la nuit, discutant avec des compagnons qui nourrissent leurs arguments à la cocaïne.
Lorsque soudain l'attention de Charlie Wilson (Tom Hanks) est distraite par le spectacle du présentateur Dan Rather, vêtu à l'afghane, interviewant des combattants qui se lamentent de ne pas disposer des armes nécessaires pour barrer la route aux Soviétiques qui ont envahi leur pays. On est en 1980 et le politicien, jusqu'ici préoccupé surtout de se faire réélire, a trouvé la cause de sa vie.
Commençons par rendre grâce à Mike Nichols de tout ce qu'il n'a pas fait : un film moralisateur, une vie de saint, une charge unilatérale contre la politique américaine. C'est que Mike Nichols, réalisateur plus qu'inégal, est avant tout un ironiste, qui s'épanouit dans l'ambiguïté. Le Lauréat, son premier film, en est le plus bel exemple. Sur le fond le plus tragique qui soit (le martyre de l'Afghanistan aux mains des Soviétiques, la dictature militaire au Pakistan), il a donc réalisé une comédie.
La réussite de ce projet tient d'abord à son interprète principal. Tom Hanks sait susciter la sympathie et il met ce talent au service de son personnage. Charlie Wilson boit, fornique, jure, et pourtant ses électeurs les plus religieux continuent de voter pour lui. C'est parce qu'il est sympa.
Mais voilà ce troisième couteau de la politique américaine précipité dans la cour des grands, par la coïncidence d'un accès de conscience et de deux rencontres. Pour mener le combat qu'il a choisi, Charlie Wilson reçoit le concours d'une milliardaire texane intégriste et d'un agent de la CIA.
MILLIARDAIRE ET BARBOUZE
Joanne Herring a les traits de la nouvelle Julia Roberts, toute en angles, toujours séduisante mais manifestement dangereuse. Gust Avratakos, un type qui se vante d'avoir aidé les colonels grecs à pourchasser les militants de gauche, est incarné par Philip Seymour Hoffman. De la brutalité obscène d'Avratakos à la séduction fragile de Truman Capote, on dispose maintenant des deux extrêmes du registre de Philip Seymour Hoffman.
Inspiré d'un livre du journaliste George Crile, le scénario qui met en mouvement ce trio d'élite est l'oeuvre d'Aaron Sorkin, ci-devant producteur et scénariste d'"A la Maison blanche". Sorkin utilise sa formidable connaissance des mécanismes du pouvoir américain à rebours de ce qu'il faisait dans le feuilleton. La célébration de la démocratie cède la place à une satire d'autant plus précise qu'elle reste à la bonne distance de ses objets.
Charlie Wilson est un peu corrompu, bien sûr, mais aussi tout à fait sincère, qui sait à merveille gérer son stock de faveurs à rendre où à demander. Ses alliés, la milliardaire et la barbouze, sont de vrais croisés, capables aussi de fantaisie. Le spectacle d'Avratakos-Hoffman insultant son bureaucrate de prédilection à Langley, dans l'un des bureaux du siège de la CIA, réjouira tous les employés brimés du monde.
Ces facéties n'enlèvent rien à la pertinence politique du film. Un des interlocuteurs de Charlie Wilson, un espion israélien, s'inquiète de le voir faire appel à l'Egypte et aux Saoudiens pour armer les moudjahidins afghans : "Je ne comprends pas comment un homme avec ton expérience n'a toujours pas compris qu'il faut regarder des deux côtés de la rue", lui dit-il.
A la fin de La Guerre selon Charlie Wilson,un peu rapidement, le film balaie les conséquences à long terme de l'engagement américain en Afghanistan : le surarmement dans la région, le poids accordé aux services secrets pakistanais, le désintérêt de Washington pour la reconstruction du pays. A ce moment, même Mike Nichols n'arrive plus à faire rire.
Film américain de Mike Nichols avec Tom Hanks, Julia Roberts, Philip Seymour Hoffman. (1 h 45.)
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