Mystère du vol MS804 : l’hypothèse de l’attentat “anarcho-violent”

Par Samuel Gontier

Publié le 20 mai 2016 à 17h31

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h44

«Edition spéciale à 23 heures après le crash, la disparition du vol MS804 d’Egypt Air », trompette Jean-Baptiste Boursier sur BFMTV. Et les casseurs, la haine anti-flics et les violences chroniques ? Où sont-ils passés ? Je rentre chez moi un peu tard, désireux de compatir avec les centaines de policiers blessés lors des violences urbaines qui ont fatalement émaillé la mobilisation de ce jeudi… Las, il n’y en a que pour « un Airbus A320 qui s’est abîmé en mer au large d’une île grecque ».

Le présentateur livre le bilan : « Soixante-six personnes à bord, soixante-six victimes, quinze Français. » Il appelle une envoyée spéciale en Egypte. « La plupart des proches ont pris un vol d’Egypt Air dans l’après-midi pour se rendre au Caire, vous avez voyagé avec eux. » Quelle horreur ! On oblige les passagers qui viennent d’apprendre la perte d’un proche à voyager avec une équipe de BFMTV ! C’est la double peine. « C’était le premier vol Paris-Le Caire de la compagnie Egypt Air depuis la catastrophe, révèle la reporter. Quasiment le même avion, le même trajet et la même compagnie dans un climat, vous vous en doutez, dans un climat extrêmement lourd. » Oui, je m’en doute, rester enfermé avec des journalistes pendant quatre heures de vol doit être particulièrement éprouvant.

« Une douzaine de membres des familles des victimes ont embarqué, cachés par les regards [sic], dans cet avion aux trois-quarts vide. Le décollage a été retardé d’une heure, c’est vous dire le climat d’extrême tension, parce que certains d’entre eux ont craqué nerveusement en arrivant à bord de cet avion. » Et en découvrant une équipe de télé – je les comprends. « L’équipage a attendu que le calme soit revenu pour décoller. » Malheureusement, les passagers n’ont pas réussi à obtenir le débarquement des reporters.

« Les autorités égyptiennes très tôt ce matin se sont tournées vers la piste terroriste », relance le présentateur. « Effectivement, confirme la reporter, parmi les proches de victimes rencontrés dans l’avion, nombre d’entre eux pensent à cette hypothèse terroriste. » Ils savent de quoi ils parlent, ce sont les premiers concernés. D’ailleurs, note Jean-Baptiste Boursier, « l’avion était en très bon état », c’est suspect, « les conditions météo étaient quasi parfaites », c’est louche.

Bien sûr, « les causes de la catastrophe » sont encore inconnues. Mais Jean Serrat, consultant aéronautique BFMTV, le reconnaît : « Si c’est une bombe qui a détruit une partie de l’avion, par exemple la partie arrière au niveau de la dérive, l’avion n’est plus pilotable et il va chuter très rapidement. » En outre, « le gouvernement égyptien, lui, privilégie la thèse de l’attentat », insiste le présentateur, qui interroge un autre consultant aéronautique, Alain Bury, ancien commandant de bord. « Quand vous regardez les premiers éléments, vous pensez à quoi ? » « Je pense immédiatement à un attentat. » Ça se précise.

« Pourquoi ?, se questionne l’expert. Parce qu’il y a un contexte géopolitique important. La France est soi-disant en guerre et en Egypte il n’y a pas si longtemps, un avion russe a explosé au-dessus du Sinaï à la suite d’une bombe placée à bord. » « Un contexte géopolitique, ça ne fait pas des éléments de vol !, s’insurge Jean-Baptiste Boursier. Evidemment, on a peu d’informations ce soir. » Mais ce n’est pas une raison pour fournir des explications aussi floues. Le présentateur est contraint de rappeler les faits à ses experts : « Aucun message de détresse du pilote, un avion qui disparaît d’un coup, une chute rapide. » « Il s’est forcément passé un événement brutal à bord de cet avion », convient l’expert.

Un troisième consultant aéronautique, Gérard Feldzer, admet « une perte de contrôle de l’avion. Par exemple, avec une petite bombe dans la soute électronique, on n’a plus rien, hein, c’est un avion tout-électrique. » Un avion à pédales est beaucoup mieux protégé contre les attentats. « Ça peut être autre chose. » Ah non ! On a dit que c’était une petite bombe. « On n’a pas trouvé les débris donc, l’hypothèse, c’est qu’il se serait crashé entier. » C’est rassurant. « Exactement le scénario du Rio-Paris. » Ah oui, le fameux attentat aux sondes givrées. « La bombe à bord semble être l’hypothèse qui répond le plus aux questions qu’on peut se poser. » C’est bien ce qu’on disait.

Un quatrième consultant aéronautique, Gilles Sacaze, ancien du service action de la DGSE, pdg de Gallice Group (officine sécuritaire), confirme que « le contexte fait évidemment penser à un attentat assez spontanément. Mais je crois qu’il faut rester encore prudent. Pour l’instant rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’un attentat. » Même si on ne parle que de ça. « Cette piste terroriste, elle effraie à plus d’un titre !, panique Jean-Baptiste Boursier. Si un engin explosif a été introduit dans cet avion, ça veut dire qu’il a été introduit quelque part sur un aéroport. » Pas bête. « Et le drame, ce serait que ça se soit produit à Roissy. » A quelques kilomètres des studios de BFMTV. « Cet événement nous rappellerait, comme le dit Manuel Valls sans cesse, que le risque zéro n’existe pas ». On devrait toujours se fier à Manuel Valls.

Gilles Sacaze tempère : « Si on retient l’hypothèse de l’attentat [c’est assez bien engagé], on n’est pas certain que ce soit une bombe. Il y a d’autres scénarios possibles, notamment la cabine prise d’assaut par des terroristes. » Ou l’impact d’un missile balistique nord-coréen.

Jean-Baptiste Boursier appelle son envoyé spécial à Roissy, point de ralliement des familles des victimes : « On imagine l’émotion immense. » A la fin de ce duplex, il s’indigne : « Ce qui est terrible, ce qu’on arrive pas à savoir ce soir : qu’est-ce qui s’est passé ? Les autorités ne sont pas en mesure de donner le moindre élément ! » C’est scandaleux ! Je me souviens que nos autorités avaient fait preuve de la même impéritie, également dénoncée par un présentateur de BFMTV, au moment de crash de la Germanwings, dont la cause évidente était un attentat (jusqu’à ce qu’un enregistreur de bord révèle le suicide collectif du copilote).

« C’est le drame dans le drame », appuie Stéphane Gicquel, consultant en association de victimes de « catastrophes collectives », qui prévient que l’enquête sera soumises à des « enjeux diplomatiques, industriels, assuranciels. Les familles vont devoir entrer dans un rapport de forces ». « Ce que vous décrivez, c’est terrible pour ces proches, pour ceux qui ont perdu quelqu’un !, se révolte encore Jean-Baptiste, décidément indigné par tant d’injustices. C’est une mort violente, c’est par définition une surprise, ils doivent l’affronter, et ensuite, ce sont les douze travaux d’Hercule ! » Et encore, Hercule n’avait pas perdu de proches dans un accident d’avion.

« On fait le point à Athènes. » Un point mythologie ? Il est 23h30 et je suis passé sur iTélé, BFMTV ne donnant aucune nouvelle des manifestations contre la loi travail, dont je commence à douter de l’existence. Après le duplex avec la correspondante en Grèce, la présentatrice réapparaît. « Ce qu’on sait ce soir, c’est que l’enquête est au point mort. » Pourvu qu’elle réussisse à décoller. Après le duplex avec la correspondante en Egypte, la présentatrice réapparaît. « Toujours pas d’explication ce soir mais l’hypothèse d’un attentat reste ouverte. » Grande ouverte, sur les chaînes info.

Un bandeau avertit : « Vol MS804 : la France assurera “avec toutes ses forces” la sécurité pendant l’Euro 2016, a déclaré Jean-Marc Ayrault. » Je ne vois pas le rapport avec une catastrophe aérienne. Il est prévu de jouer les matchs de foot dans des avions ?

Olivier Galzi entreprend d’interroger l’expert d’iTélé, un consultant aéronautique que je prenais jusque-là pour un membre d’équipage du Figaro : « Yves Thréard, ça vous étonne ce tirage sur la question des débris entre la Grèce et l’Egypte, comme s’il y avait un petit litige ? » « Spontanément, ce matin, à l’annonce de ce crash, on est allé vers l’hypothèse terroriste. Ça touche deux pays qui sont des cibles premières de terroristes potentiels, que ce soit l’Etat islamique ou Al-Qaeda, parce qu’Al-Qaeda ne doit pas être écarté. » J’ai bien fait de zapper sur iTélé, les experts aéronautiques de BFMTV n’avaient pas évoqué cette piste potentielle. « Pas plus tard qu’il y a huit jours, le patron du renseignement intérieur français a eu des propos extrêmement inquiétants. » Et les propos inquiétants, ça vous rend un avion « impilotable » aussi sûrement qu’une petite bombe dans la soute électronique.

« Si la piste terroriste se confirme, poursuit Yves Thréard, ça va faire naître une polémique en France à propos de l’organisation de l’Euro 2016. » Ça se confirme, les matchs se joueront dans des avions. « Il doit y avoir des fans zones dans les centre-villes qui pourront réunir jusqu’à cent mille personnes. Ces fans zones, ça sera très difficile de dire qu’on peut les sécuriser. » On n’a qu’à les organiser dans des avions.

« Ma question initiale portait sur le tirage entre la Grèce et l’Egypte », se rebelle Olivier Galzi. « Les Egyptiens veulent écarter la Grèce pour avoir la main sur l’enquête », certifie Yves Thréard. Un nouvel expert aéronautique, Joseph Macé-Scaron, intervient : « Parce qu’on considère que la Grèce n’est pas sûre. Il y a eu dans le passé une tradition terroriste à Athènes. Et ces mouvements anarcho-violents n’étaient pas poursuivis. » Tout s’explique ! Je comprends mieux pourquoi les chaînes info ne parlent plus des manifs contre la loi travail. Ce jeudi, les casseurs d’ultragauche, lassés de « se faire un flic », ont décidé de se faire un Airbus. Ils ont embarqué sur un vol Paris-Le Caire et ont jeté un fumigène dans le cockpit… On connaît la suite.

La présentatrice réapparaît pour résumer la situation. « Ce n’est pas la première fois que l’Egypte est confrontée à des événements et des attentats. » Ça y est, c’est confirmé, c’est bien un événement – et un attentat. Anarcho-violent.

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