1.4 – La distribution des barrages dans le monde

Le XXème siècle a été marqué pour un taux très élevé de construction de barrages sur la planète, surtout après la 2ème Guerre Mondiale (Figure 10). Jusqu’à la fin des années 1940, il y avait environ 5 000 grands barrages dans le monde, la plupart concentrés dans les pays les plus industrialisés (WCD, 2000). Selon le rythme de la croissance démographique et du développement économique, on a ensuite assisté à un accroissement de la construction de grands barrages dans le monde, avec 8 140 retenues inaugurées entre les années 1945 et 1971 (Beaumont, 1978). A la fin du XXème siècle, le total de retenues a atteint les 45 000, distribuées sur plus de 140 pays. Actuellement, près de la moitié des grands fleuves du monde comptent au moins un grand barrage (WCD, 2000). L’apogée de la construction de ces ouvrages remonte aux années 1960 et 1970, époque à laquelle ils étaient considérés comme un symbole de développement économique, de progrès technologique et de modernisation (Figure 13). C’est à cette époque que la plus partie des barrages a été construite dans les pays d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Europe, tandis que les pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Océanie présentaient un taux linéaire de croissance (Figure 14).

Figure 13 – L’évolution temporelle du nombre de barrages dans le monde.
Figure 13 – L’évolution temporelle du nombre de barrages dans le monde.

Source: WCD, 2000.

Figure 14 – Evolution du nombre de barrages dans le monde par continent et par décennie.
Figure 14 – Evolution du nombre de barrages dans le monde par continent et par décennie.

Source : WCD, 2000

A la fin des années 1970 et au début des années 1980, a débuté un changement de paradigme par rapport à l’importance des ressources naturelles. L’eau, de ressource inépuisable, est devenue une ressource naturelle importante ainsi qu’un bien économique. Les contraintes portant sur l’ampleur des investissements et sur leurs impacts sur l’environnement ont suscité des interrogations quant aux bénéfices réels de ces ouvrages. Les impacts des barrages sur l’environnement étaient déjà des sujets d’étude dans les différents domaines de la science. Les gros investissements dispensés pour faire des barrages, les impacts sur l’environnement et les déplacements des populations touchées sont devenus des motifs de conflits entre les parties concernées. On a donc assisté au déclin de la construction des barrages. Il a été spectaculaire, surtout en Amérique du nord et en Europe, où les sites techniquement les plus attrayants avaient déjà été aménagés. En même temps, les barrages ont commencé à se répandre dans les pays d’Amérique latine, en Chine et en Inde, et les grands fleuves tropicaux ont commencé à être touchés par ces ouvrages (WCD, 2000). Dans les années 1990, les investissements dans la construction de barrages réalisés dans les pays en voie de développement ont été environ deux fois plus élevés que dans les pays industriels. On estime que le total des investissements a été compris entre 22 et 31 milliards de dollars par an. Une partie importante de ces investissements a été utilisée dans la construction de barrages pour l’approvisionnement en eau et pour l’irrigation. La majeure partie a cependant été destinée à la construction de barrages pour la production d’énergie, pour des valeurs proches de 10 milliards de dollars par an.

Les pays qui concentrent la majeure quantité des barrages dans le monde sont la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, l’Espagne, le Canada, la Corée du Sud, la Turquie, le Brésil, devant la France. Ensemble, ils possèdent autour de 80% des toutes les retenues du monde (ICOLD, 1998, WCD, 2000). (Figure 15 et Tableau 2).

Figure 15 – Distributions par pays des barrages dans le monde.
Figure 15 – Distributions par pays des barrages dans le monde.

Source : WCD, 2000.

Tableau 2 – Effectif des barrages dans le monde et production d’énergie hydroélectrique
Effectif des barrages Production d’énergie hydroélectrique (GW/h)
1°- Chine 22 000 1° - Canada 341 312
2° - Etats-Unis 6 575 2° - Etats-Unis 319 484
3° - Inde 4 291 3° - Brésil 285 603
4° - Japon 2 675 4° - Chine 204 300
5° - Espagne 1 196 5° - Russie 160 500
6° - Canada 793 6° - Norvège 121 824
9° - Brésil 594 9° - France 77 500
10° - France 569 10° - Suisse 70 823

Source : WEC, 1999 ; WCD, 2000.

Selon la Commission Internationale des Grands Barrages, environ 60 % des principaux bassins versants dans le monde sont fragmentés par les grands barrages, ce qui représente un effectif de 45 000 grands barrages (WCD, 2000). De nombreuses retenues de moyenne et petite taille ne sont pas comptabilisées dans ces statistiques, mais il n’existe pas de cadastre mondial pour cette catégorie d’ouvrages. Néanmoins, on estime que les barrages de moyenne et petite taille sont plus de 800 000 à la surface du globe.

La fonction des retenues varie nettement dans chaque continent. En Europe (31%) et en Amérique du Sud (26%) la principale fonction des retenues est la production d’énergie tandis qu’en Amérique du Nord prédominent les barrages à usages multiples (30%) (Figure 16).

Figure 16 – Distribution des retenues dans le monde selon l’usage.
Figure 16 – Distribution des retenues dans le monde selon l’usage.

Source :WCD, 2000.

Quant à la production d’énergie, l’exploitation des barrages pour l’hydroélectricité a été toujours considérée comme une source d’énergie propre, renouvelable et peu coûteuse. Une fois construits, les équipements hydroélectriques sont considérés comme ayant un bas coût de fonctionnement et une longue durée d’utilisation, de sorte qu’ils sont une bonne source d’énergie pour les pays dotés de ressources en combustibles fossiles limitées.

Malgré la croissance en termes d’énergie totale produite dans le monde, la proportion de la production d’énergie hydroélectrique par rapport aux autres sources n’a pas beaucoup changé, à cause du développement des installations nucléaires, surtout en Europe. Sur les 14 300 TWh d’électricité produits dans le monde en 1998, seulement 2 633 TWh (18,4 %) étaient d’origine hydraulique, dont 332 TWh pour le Canada, 322 TWh pour les Etats-Unis, 291 TWh pour le Brésil, 208 TWh pour la Chine et 66 TWh pour la France (WEC, 2000). Le continent sud-américain se détache nettement avec 72 % de la production d’hydroélectricité, tandis que tous les autres continents comptent pour environ 15 %. Un tiers des pays dépendent des barrages pour satisfaire une partie de leurs besoins énergétiques et, dans 24 pays, l’hydroélectricité représente environ de 90 % de la production énergétique totale (WEC, 2000).

Les plus grands producteurs d’énergie hydroélectrique du monde sont, dans l’ordre, le Canada, les Etats-Unis, le Brésil, la Chine et la Russie (WEC, 2000). Les pays qui produisent le plus d’énergie ne sont pas forcément les pays qui ont le plus grand nombre de barrages. En effet la taille des barrages et la productivité des sites sont des critères au moins aussi importants que le nombre de retenues. Ainsi la Chine, 1er pays par le nombre des barrages, est 4ème pour la production d’énergie alors que le Brésil, 9ème pays par l’effectif des barrages, est le 3ème producteur énergétique.

On estime qu’à peu près deux tiers du potentiel hydroélectrique mondial restent encore à exploiter. Des études affirment que la capacité hydraulique peut s’accroître de 30 % en Europe, 80 % en Australie, 80 % en Amérique du Sud, 40 % en Amérique du Nord, 93 % en Afrique et 80% en Asie. La croissance annuelle de la production d’énergie hydroélectrique observée au niveau mondial est d’environ 2 % par an. Sur le long terme, on prévoit une hausse significative, d’environ 40 %, de la quantité d’électricité d’origine hydraulique d’ici 2020 (WEC, 2000) du fait de la construction de grands barrages dans les pays en développement, surtout en Chine et au Brésil.