Chez Siemens, des éoliennes produites comme des voitures

Découverte de l’usine géante de Siemens Wind Power au Danemark qui pour produire ses nacelles d'éoliennes a adapté les systèmes de gestion de production en ligne venu de l’automobile. Et les assemble à la chaîne.
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Chez Siemens, des éoliennes produites comme des voitures

C’est un endroit perdu au milieu du morne et plat bocage du Jutland. L'usine Siemens de Brande, au centre du Danemark est pourtant le centre principal de fabrication de nacelles pour éoliennes du groupe allemand. Sur ce site de 25 hectares, rien n’est proprement dit « fabriqué », on ne trouve pas trace de centre d’usinage par exemple. Tous les composants mécaniques, électriques ou électroniques proviennent de l’extérieur, soit d’autres usines Siemens, soit de fournisseurs danois ou allemands mais aussi coréens ou chinois. Dans un ballet bien réglé, chaque nacelle (le « cœur » d'une éolienne, qui contient le générateur, les réducteurs et l’électronique de puissance) est assemblée dans un des vastes halls et testée avant de prendre le large pour les parcs éoliens aux quatre coins du monde, souvent par bateau à partir du port d'Esbjerg (voir encadré ci-dessous).

Depuis son acquisition par Siemens en 2004, l’ex-Bonus Energy créé ici a connu un développement explosif, avec aujourd’hui un carnet de commande de 6GW et 8 milliards d’euros. Pour suivre la cadence, et bien sûr aussi réduire les coûts, les responsables de l’usine ont mis en place une gestion de production inspirée de l’automobile. Il dénommé sans originalité le « Siemens Production system » et 1% de l’effectif de l'usine y est affecté, avec des profils variés, certains de ses responsables venant du contrôle, d’autres des fonctions de production. Sur ce site de 2 500 personnes qui accueille aussi le siège de Siemens Wind Power et son principal centre de R&D, environ 800 personnes s’activent en production.

Le travail est en fait peu automatisé, la plupart des opérations de montage sont manuelles, avec le secours bien sûr de puissants ponts roulants d'une jaune vif et autres bras articulé, au vu du poids des composants. La production est organisée en deux équipes par jour (trois pour l’entrepôt) et 5 jours par semaine. Ici, les produits phares sont les nacelles des éoliennes de 2,3 MW et 3,6MW, les best-sellers de Siemens vendus par centaines tous les ans. En 2009/2010, l’usine a produit 1 145 machines, soit 2,86 GW. Pour l’exercice en cours la prévision est de 1 405 machines et 3,5GW.

Comme il se doit, les nacelles sont fabriquées à la demande, et la commande des principaux composants est aussi réalisée en flux tiré. Le site dispose par ailleurs d’un entrepôt inspiré du système Toyota de type « supermarché », où sont stockés dans des caisses dédiées et dans l'ordre de montage les petites pièces (câbles, éléments mécaniques…). A chaque étape, le personnel de production peut ainsi « faire son marché » dans le stock et se constituer un kit de montage avec les pièces nécessaires. Celles-ci sont livrées sur les lignes avec un stock tampon d'une équipe. Un centaine de pièces critiques reçoivent par ailleurs un numéro de série.

Dans cette usine qui a fait l’objet de plusieurs dizaines de millions d'euros d'investissement ces dernières années, la logistique interne vient aussi d’être totalement revue grâce à la réorganisation des différents halls de production. Cela a permis de réduire d'environ un tiers les déplacements des composants d’un hall à l’autre Les éléments lourds comme par exemple l'axe principal, le réducteur et le générateur électrique étant pré-assemblés dans un hall dédié avant de rejoindre la chaîne finale.

Principale innovation récente : l’assemblage final des nacelles de 2,3MW est effectué en ligne, sur une chaîne mobile et non sur un poste fixe

Pour cela, un puissant rail encastré dans le sol tracte d’un des postes à l’autre, les énormes nacelles de 80 tonnes. « Nous avons beaucoup hésité, car dans cette phase d’assemblage final, certaines opérations de montage prennent beaucoup plus de temps que les autres d’où des risques de ruptures de rythme», note un responsable de l’usine. Mais avec des équipes mobiles pouvant passer d’un poste à l’autre, le système fonctionne. « Cette ligne mobile est un bon système. Mais il est exigeant, car il met en lumière immédiatement les retards sur un poste» assure un cadre en pointant l’un des tableaux d’affichage où, en lettres lumineuses rouges, sont inscrits l’objectif de production, le temps de cycle prévu, la cadence actuelle... et les dérives.

Résultat de ces efforts, le temps moyen d’assemblage des nacelles de 2,3MW est passé de 36 heures en 2004, à 24 heures en 2009 pour arriver à 19 heures, dernier chiffre en date. Cela a permis d’accroitre la production du hall final à due proportion, sans extension des bâtiments.

Aujourd’hui, les responsables de production jaugent l’intérêt d’utiliser les lignes mobiles pour les nacelles de 3,6 MW, des bêtes de 120 tonnes. Sur ce produit, l’amélioration du process a déjà permis de réduire le temps de cycle de 50 à 35 heures. Mais la décision de passer à l'assemblage final à la chaine n’a pas encore été prise. Elle dépendra peut-être de l’évolution du rythme des commandes, et à la montée en puissance de nouvelles usines de nacelles (Etats-Unis, Chine, Royaume-Uni)

Pour s’adapter à la variabilité saisonnière des commande, le site a, en tout cas, fait l’objet cette année d’un accord de flexibilité entre syndicats et direction. Celui-ci repose sur un système de compte temps annuel. Le cumul des horaires peut fluctuer dans une fourchette de +150 à -75 heures, à salaire fixe. Dans la plus pure tradition danoise, le système validé par les partenaires sociaux a dû être approuvé par référendum avant d’entrer en application. Comme le souligne un des responsable du site, « les gens ici sont très motivés et fiers de travailler dans une usine œuvrant dans les énergies vertes, mais dans les habitudes de management danoises, le "top down"  ne marche pas, ils ont besoin d’être convaincus avant d’accepter une décision».

En tout cas, les performances de l’usine ne sont pas passé inaperçues chez Siemens. Des responsables d’autres divisions, notamment de production de turbines sont déjà venu étudier de près les secret de Brande.

A Brande (Danemark), Pierre-Olivier Rouaud

 

Pour aller plus loin:

L'interview du PDG de Siemens Wind Power: "L'éolien est l'une des activités les plus fructueuses de Siemens"

Le diaporama de la visite de l'usine


D'autres usines en projet

Le groupe compte parmi les 10 premiers fabricant mondiaux d’éoliennes avec 2,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009. Dans un secteur dominé par le danois Vestas et l'Espagnol Gamesa, Siemens Wind Power (SWP)) fait partie des 10 premiers mondiaux. Grâce à d'importants succès commerciaux en Grande Bretagne et au Danemark notamment, son carnet de commande atteint 8 milliards d’euros, le troisième plus gros au monde. Le site de Brande fut créé en 1976 par le fils d'un patron d’une PME locale spécialisée dans le matériel d’irrigation qui souhaitait se lancer dans les affaires. La première machine développait 27kw contre 3,6 MW pour la plus grosse aujourd'hui (6MW en projet). L'entreprise, qui pris le nom de Bonus Energy, fut acquise par Siemens en 2004 au nez d'Areva. Outre ce site historique, SWP exploite 6 autres usines au Danemark, notamment Aalborg pour les pales. Originalité, celles-ci sont produites d’une seule pièce (et non deux demi collées) sur la base d’une structure en balsa. Au total, SWP emploie 6 000 personnes, il dispose d’une usine de pales aux États-Unis. Des usines de nacelles sont en cours de construction aux Etats-Unis et en Chine. Prochain investissement : un site au Royaume uni pour servir l’énorme marché britannique. D’autres usines sont en projet en Inde, au Canada et en Russie.


 

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