Dans le ciel flottent des carpes en tissu. Symbole de vitalité, fixées à des mâts plantés dans le sable, elles dansent dans le vent chaud qui balaye la côte de Satsumasendai, dans le sud-ouest du Japon. Leur légèreté contraste avec la masse de béton qui se dresse non loin, la centrale nucléaire Sendai – à ne pas confondre avec la ville du même nom, dans le nord-est de l’Archipel –, bien à l’abri d’une épaisse ceinture de barbelés.
Ici, à près de 1 000 kilomètres de la capitale, il y a d’un côté la Compagnie d’électricité du Kyushu (Kyuden), propriétaire de la centrale dont l’un des deux réacteurs a redémarré mardi 11 août, une première au Japon depuis l’arrêt total du parc nucléaire en 2013, après la catastrophe à la centrale de Fukushima en mars 2011. De l’autre, les opposants qui ont dressé sur le sable blanc un camp de bois et de toile, multicolore et fragile, baptisé la « tento ». Les 8 et 9 août, la « tento » a accueilli, malgré la chaleur étouffante, un festival de rock. Les 9, 10 et 11, des rassemblements étaient prévus devant la centrale. Naoto Kan, premier ministre de centre gauche au moment de Fukushima, aujourd’hui actif contre le nucléaire, est intervenu.
« On se débrouille même si on n’est pas assez nombreux pour tout organiser », souligne Ryoko Toshihara, dynamique sexagénaire membre de l’Association des mères, structure créée dans les années 1980 pour s’occuper des problèmes de l’enfance et de l’environnement, et relancée après Fukushima, car « le nucléaire a des conséquences graves pour les enfants ». La « tento » est soutenue par une association hétéroclite qui réunit le Parti communiste, le Parti social-démocrate, des syndicats et des ONG de tout le département. Tous critiquent la relance du réacteur Sendai.
« Les leçons de Fukushima n’ont pas été tirées, insiste Katsuhiro Inoue, membre du Parti communiste et l’un des quatre conseillers municipaux de Satsumasendai – sur 26 – à s’opposer au redémarrage. L’évaluation des risques par l’Autorité de régulation du nucléaire (ARN) se fonde uniquement sur des modèles informatiques. Les plans d’évacuation des 220 000 personnes vivants dans un rayon de 30 kilomètres ne sont pas clairs. » D’après le quotidien Asahi, seuls deux des 85 hôpitaux de cette zone ont un tel plan. Mais, selon Kyuden, l’ARN a reconnu que les nouvelles normes adoptées après Fukushima, « parmi les plus strictes du monde », étaient respectées à la centrale.
« Argent facile »
Les deux réacteurs Sendai, de 846 mégawatts chacun, ont été bâtis dans les années 1980, en invoquant des avantages économiques aujourd’hui repris pour justifier la relance. « Au fond, je suis contre le nucléaire, admet un gérant d’auberge. Mais beaucoup de travailleurs de la centrale passent la nuit ici. » « Kyuden est la première entreprise de la région, ajoute M. Inoue. Ses salaires sont plus élevés qu’ailleurs et elle est soutenue par les banques, les géants de la construction ou encore Toshiba. »
La construction d’un réacteur s’accompagne de subventions versées annuellement à la ville hôte mais qui diminuent à mesure que l’installation vieillit. La gare, quelque peu démesurée pour une municipalité de 95 000 habitants, aurait été construite grâce à cet argent. « C’est de l’argent facile, déplore M. Inoue. On s’habitue si bien que la municipalité appuie même le projet de troisième réacteur. »
D’où la tentation des municipalités d’accepter de nouveaux réacteurs. « C’est comme une drogue, regrette M. Inoue. La ville ne cherche pas à développer d’autres activités comme le tourisme ou l’agriculture, ce qui nécessiterait d’importants efforts. » « Au début, l’impact économique a été positif, rappelle Yoshinori Fukuda, boulanger retraité engagé contre le nucléaire depuis Fukushima, mais la centrale n’a pas empêché la ville de perdre 30 000 habitants en trente ans. » Une promenade sous les arcades, à deux pas de la mairie, laisse apercevoir nombre de magasins au rideau baissé.
Le redémarrage en préfigure d’autres
Kyuden, de son côté, justifie la relance du réacteur par l’équilibre de ses finances. La compagnie a affiché une perte nette de 18,5 milliards de yens (135 millions d’euros) au terme de l’exercice 2014 clos fin mars, malgré des ventes en hausse de 4,6 %, à 1 873 milliards de yens. L’entreprise affirme avoir « souffert du gonflement des coûts d’achat de combustible pour compenser l’arrêt prolongé des installations nucléaires ». Depuis l’arrêt des centrales, qui généraient 28 % de l’électricité japonaise avant 2011, les compagnies produisent du courant d’origine thermique. Le coût de l’électricité a augmenté de 15 % à 20 %, même si aucune coupure n’a eu lieu et aucune restriction n’est imposée.
Au niveau national et malgré l’hostilité de la population nippone, la relance du nucléaire est promue par le gouvernement conservateur du premier ministre Shinzo Abe, soutenu par les milieux d’affaires. Le redémarrage du réacteur Sendai en préfigure d’autres, à la centrale d’Ikata (sud) et à celle de Takahama (centre), dont les principales mesures de sûreté ont été approuvées par l’ARN mais qui ont encore plusieurs étapes à franchir pour une éventuelle remise en exploitation. Les compagnies souhaitent relancer une vingtaine de réacteurs.
Confronté à une popularité en baisse, le gouvernement Abe ne fait guère de publicité autour de Sendai, dont la relance intervient au cœur des vacances d’été des Japonais. Il semble même s’en distancier. « La responsabilité du redémarrage revient aux compagnies d’électricité », a déclaré le 4 août son porte-parole, Yoshihide Suga, tout en admettant que cette relance « est importante pour la politique énergétique ». Le nucléaire devrait générer 20 % à 22 % de l’électricité nippone en 2030, selon l’engagement sur la réduction des gaz à effet de serre dévoilé en juin en vue de la conférence mondiale sur le climat à Paris. Dans ses arbitrages, le gouvernement a choisi de privilégier l’industrie, dont les géants comme Toshiba ou Mitsubishi Heavy Industries ont beaucoup investi dans la filière nucléaire et restent très influents, au sein notamment du Keidanren, la puissant fédération patronale nippone.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu